La compulsion de répétition dans le trouble alimentaire


Le processus "j'ai faim/je manque/je suis seul/je suis en danger/je souffre/j'ai peur/je pleure, j'alerte/ je suis en colère, c'est trop /je me contracte/je mange/je me sens mieux/je m'apaise/je m'endors" chez le bébé résumerait le processus de la compulsion boulimique chez l'adulte où l'émotion est rattachée au besoin de se combler : il/elle m'a quitté, je suis contrarié(e), je mange. Ce processus est régressif car nous avons tous connus ce fonctionnement à un moment donné de notre enfance. Manger, c'est notre premier mécanisme employé face à l'angoisse.

 

Le refus du sein ou son trop plein renvoient à des problématiques régressives ou à des fixations archaïques. Le fantasme oral d'engloutissement, le fantasme anal de rétention-contrôle sont dans l'alimentation des tentatives de régulation et des mécanismes défensifs du psychisme. Manger n'est plus un plaisir, le corps est agressé. Lorsque le bébé n'est pas rassuré par des bons soins, il va trouver des mécanismes défensifs pour soulager son angoisse. Il va s'adapter en se coupant de ses émotions, trop fortes pour lui :

"j'ai faim/je manque/je suis seul/je suis en danger/je souffre/j'ai peur/je pleure, j'alerte/ je suis en colère, c'est trop /je me contracte/je mange/je me sens mieux/je m'apaise/je m'endors. Il s'apaisera seul voire en s'endormant pour se replier sur lui-même et répétera ce schéma dans sa vie sociale.

Ce processus a un double intérêt : d'abord se protéger et ensuite éviter de détruire la mère en pensée. En effet, le mêle-tout avec laquelle je fusionne dans une dyade laissera place à une alternance amour-haine à un moment donné du développement psychoaffectif de l'enfant. Il n'y a pas de tiers, pas d'autre, on est si bien. Par la suite une bonne et une mauvaise mère émergeront des protopensées du nourrisson, clivant ainsi la mère, laquelle devenant en somme déjà cet autre. C'est en ce sens que le terme de "mère suffisamment bonne de Winnicott prend tout son sens : bonne oui mais just goog enough c'est à dire ni trop ni pas assez. C'est la période de la défusion et de la construction de deux êtres séparés, une période cruciale du développement.

 

Isoler l'affect, c'est aussi éviter de décharger sa colère sur la mère et donc de la détruire au passage, on la conserve dans un processus illusoire de mère totalement bonne. On connait bien l'expression "Ne touche pas à ma mère". C'est ce déni que l'on retrouvera chez l'adulte de ne pas vouloir voir les choses en face. C'est aussi la phase de l'omnipotence. S'il ne se venge pas, il n'éprouve pas la colère et s'il n'éprouve pas de la colère, la mère est là, pour moi, à moi entièrement et je suis tout pour elle, son phallus. Si le bébé ne se venge pas, sa colère peut se retourner contre lui, c'est une porte vers la question du masochisme et de la destruction de soi qui est aussi en lien aussi avec le trouble alimentaire.

Avec le temps, le bébé saura qu'il n'a qu'une mère et que si cette dernière ne répond pas, elle est cependant là. Ce sera l'époque du doudou et l'inscription dans la transitionnalité qui marqua la possibilité de l'absence en la présence. Le début de la phase anale, vers 2/3 ans lui permettra de passer d'une phase de passivité à une phase de contrôle (des sphincters avec l'acquisition de la propreté). C'est l'entrée dans le non, pour exprimer le "Je suis". Après tout ce chemin de défusion, l'enfant apprécie cette phase où il part à l'exploration du monde, la marche est acquise, un autre équilibre se fait.

 

Ces notions de contrôle se retrouvent très souvent dans les troubles de l'alimentation. On plus on cherche à contrôler (ses pulsions, ses émotions), au plus les décharges se feront sous formes de pulsions d'engloutissement pour calmer son angoisse (de ne pas contrôler). Le travail thérapeutique sur l'alimentaire inclut un travail sur ces notions de rétention-contrôle et des nœuds s'observent souvent dans la difficulté de perdre (de lâcher) des kilos, paradoxalement. On repèrera souvent des conflits : je veux perdre (idéal du Moi) mais je ne peux pas (Moi Idéal = la relation en dyade fusionnelle).

Lorsqu'on va mal, quand quelque chose ne va pas, on cherche à se rassurer et l'objet aliment permet de rejouer la scène de fusion et de se rassurer. Plein oui mais à quel prix ? S'en suit la culpabilité. De quelle culpabilité s'agit-il ? Engloutir la nourriture, se sentir plein, c'est aussi incorporer la mère symbolisée par la nourriture et en somme la détruire c'est se cacher derrière une culpabilité plus consciente de ne pas être arrivé à contrôler son désir et ses pulsions cannibaliques.

L'anorexie mentale est une de ces pathologies que l'on aborde dans le cadre du trouble alimentaire et touche en plus la féminité et la sexualité. Le corps ne peut pas être investi pleinement comme étant sexué. C'est le "je ne supporte pas de me voir devenir femme" qui s'exprime devant le miroir. A la problématique maternelle dans les notions d'identification auxquelles la jeune femme est renvoyée viendront se rajouter à la problématique de type oral précédemment exprimée. La problématique paternelle s'exprime ici aussi avec un lien à questionner sur l'œdipe, la fuite de la sexualité (arrêt des règles également dans l'anorexie), comme compromis pour éviter l'impasse de la castration et d'un couple père-fille impossible. La relation est à questionner en tous cas. On peut retrouver aussi le corps déformé par les kilos, à l'inverse, comme moyen d'évitement de la sexualité.

Trouble de l'attachement, angoisse de séparation, angoisse de morcellement, angoisse de morcellement, culpabilité, pulsion de destruction, masochisme, addiction, amour, haine, le trouble alimentaire est lié au processus du développement psychoaffectif et renvoie bien souvent à une part archaïque.

Les pathologies du trouble alimentaire sont en lien avec un processus dynamique circulaire qui prend source dans le corps (lieu de l'angoisse et de l'apaisement), la poussée s'effectuant par la pulsion (de remplissage, de vomissement), et l'objet étant l'aliment. Circulaire puisqu'il n'y a pas de tiers...c'est encore l'inclusion réciproque. Nous pouvons faire l'hypothèse avec l'anorexie de cette impasse plus marquée sans doute que dans l'introduction du tiers, la sexualité étant barrée. Si je ne suis pas femme, je reste donc enfant.

Lorsqu'on aborde le trouble alimentaire en psychothérapie, il parait opportun en tous cas de se demander ce qui s'est passé dans la relation et ce qui a coincé. Coincé dans la relation avec les parents et parfois aussi au-delà, en creusant les cryptes du transgénérationnel et ses fantômes.

Nous retrouvons d'ailleurs souvent ces habitudes de remplir les placards comme en temps de guerre. "Ma mère faisait pareil, ma grand-mère aussi, chez nous on ne jetait pas la nourriture". La question de la honte est à poser aussi ici : 'je me cache pour manger, j'ai trop honte d'en parler, trop honte qu'on ne voit", la honte pouvant être creusée comme une émotion autour d'un lourd secret familial qui n'a pas été verbalisé et qui s'est encrypté dans le corps.

* Il est important de rappeler que c'est le ressenti de l'enfant et la façon dont il a AUSSI vécu intérieurement ses expériences qui vont déclencher les troubles et en aucun cas la "faute" systématique de l'un ou l'autre parent, ce serait absolument culpabilisant et faux de le penser.

Auteur : Corinne ALEXANDRE VERA


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