L'addiction, au cœur de la pulsion, Approche psychosomatique de la sexualité
Les addictions sont un thème majeur dans nos cabinets psy, à mettre en lien avec un trop plein ou un pas assez. Un remplissage parfois, un évitement aussi.
L'addiction au sexe
L'addiction est une compulsion impossible à maîtriser. Elle est hors contrôle, elle relève de la pulsion qui doit atteindre son but à tout prix : décharger le trop plein, rééquilibrer pour atteindre la satisfaction et donc atteindre l’apaisement suite au principe de constance de l’énergie psychique.
Elle passe par le corps, qui est la source de la pulsion. On peut le constater avec la colère et le pétage de plomb quand il y a frustration suite à un principe de réalité, le corps est en « manque ». A l’inverse sur l‘axe de la peur, il y a l’anticipation par la peur de manquer.
Il en est de même pour le sexe. Ce sont des stratégies de défense et parfois des impasses.
Addiction et compulsion
Un de mes patients évoquait avoir eu depuis des années plusieurs maîtresses régulières qu’il voyait l'une après l'autre tout au long de la journée et avec pour chacune plusieurs rapports sur chaque rdv. Il n'avait plus la possibilité de travailler, tout son temps était pris dans ses rdv. Ils étaient trouvés que les maîtresses en question n'avaient plus étaient été disponibles en même temps et il s'en était suivi une profonde dépression. C'était le grand vide.
Sur un autre décor, c'est ce même vide pour le fumeur qui réalise qu'il n'y a plus de cigarette dans son paquet le dimanche matin, prêt alors à courir des kilomètres, s'il n'a pas anticipé sa dose le vendredi "de peur d'en manquer". La peur du manque.
Nous voyons dans le cas de l'addiction la puissance de la notion de répétition. On tourne boucle. On reste dans du même. Les rdvs sont toujours les mêmes, en boucle mortifère qui ne laisse plus de place au vide.
La notion de répétition est essentielle en psychanalyse et relève de la pulsion de mort. L'addiction permet de compenser par l'extérieur le manque interne. La réalisation hallucinatoire d'un désir permet ainsi de régler l'échec. Ceci vaut pour toutes les addictions.
Mais finalement qu'est-ce que l'addiction ? Névrose à part entière ou symptôme ?
En fonction de la place de l'autre, on peut situer la pathologie comme relevant de la névrose, la psychose ou la perversion.
"J'ai vu en lui un prédateur" me disait I., qui vivait depuis des mois une relation d'emprise avec un garçon addict au sexe et aux réseaux sociaux de rencontre. "Il ne m'aimait donc pas moi pour moi", disait-elle dans sa phase de deuil et de désillusion, nécessaire à sa liberté de sujet.
L'addiction est possible dans les trois structures psychiques et le point commun c'est le comble (remplissage) d'un vide. On peut parler d’engloutissemement, de dévoration qui sont des fantasmes archaïques au début non pathologique chez le nourrisson dans ses étapes vers le sevrage et l’individualisation par le passage de la première des grandes angoisses, l’angoisse de séparation, condition pour ne pas tomber dans les comportements addictifs.
Lorsque I. n'était plus disponible, il arrivait qu'elle soit réveillée plusieurs fois par nuit, recevant jusqu'à 30 appels de détresse, sans qu'elle ait elle-même la force d'éteindre son téléphone et de couper le lien, l'addiction étant réciproque. "J'ai besoin de toi, c'est vital, c'est plus fort que moi".
Addict à quoi ?
Le choix de l'objet sur lequel va se décharger la pulsion (la personne, le travail, le sport, le sexe, la bouteille, la drogue etc) est important.
S'agit-il de se détruire ? Le problème à ce stade de non séparation d’avec l’objet (la mère), détruire l’autre c’est détruire soi.
I. était-elle cette bonne mère, disponible totalement, pleinement ? Vraisemblablement mais par son côté inconditionnellement elle (re)créait l’impasse par la non frustration, par sa permanence, sa disponibilité totale. C’est l’étape de la toute puissance infantile, sa majesté bébé qui vit dans le narcissisme primaire, étape indispensable du bébé mais qui se révélait toxique en maintenant dans la dyade fusionnelle.
Parfois l'objet addictif se remplit aussi de la mauvaise mère, toxique ou morte (au sens d'André Green).
La figure du père apparait aussi. Le choix de l'illicite permet d'évoquer le rapport à la loi et aux règles.
Le sexe est un des choix possibles. Ce n'est pas un choix de hasard, évidement. Dans le sexuel, il y a aussi la place donnée à l'autre. Que cherche-t-on dans le sexe ? Quel est la place de cet écran tiers dans le cybersexe ? Quelle est la place de la pulsion de voir et d'être vu ? Que signifie se cacher (dans les toilettes souvent) pour voir l'écran ? La décharge physique ? L'amour ? Le lien ? Le fantasme ? Le plaisir ? Est-t-on centré sur soi et/ou sur l'autre ? Ce n'est pas là la même chose.
La centration sur soi avec la masturbation va exclure l'autre et la possibilité de danger venant de la part du désir de l'autre.
Tout devient question de contrôle et de maîtrise. Le plaisir est-il centré sur la jouissance ? Lacan disait que le rapport sexuel n'existe pas, chacun des partenaires étant dans son propre fantasme. S'agit-il de castrer et de dominer ? Soumettre ? Le sexuel est le lieu du fantasme, du jeu. Un espace intermédiaire entre l'imaginaire, le symbolique et la réalité. Parfois les limites imaginaire et réalité débordent.
Quelle que soit la raison, la dépendance au sexe va relever d'une dépendance affective incontournable.
Le choix du partenaire ne se fait pas non plus par hasard. Qu'est ce qui se (re)joue ?
Comme dans toutes les addictions, le cadre et les limites vont poser un problème. C'est ce que nous pouvons observer avec le cyber sexe, le sexe payant, la masturbation compulsive. Où est la limite ? Très floue puisqu' on parlerait d’un Moi passoire.
Il faut envisager également l'ouverture au champ de la perversion notamment dans le fétichisme ou le voyeurisme lesquels vont utiliser la pulsion scopique.
Il y a également des comorbidités avec l'usage de drogues et l'abus de psychotropes possible.
Souffrance et dépendance
L'addiction au sexe peut entraîner de grands dommages sur la santé mentale et corporelle ainsi que dans le couple et les relations sociales.
De nombreuses demandes de thérapies de couple sont consécutives à des tromperies et à une fatigue du partenaire qui en a marre d'être sollicité de trop. Ou situer sa limite entre le normal et le pathologique ? Quand c'est trop, quand c'est un besoin. Quand le reste du quotidien et l'entourage sont mis de côté.
L'addiction au sexe en psychothérapie n'est pas vraiment une demande venant de la personne concernée mais plutôt du partenaire. Ou alors c'est la culpabilité d'avoir été pris sur le fait qui déclenche la demande de consultation.
Bibliographie : « La compulsion de répétition est au-delà du principe de plaisir dans la mesure où les opérations de séparation et de recombinaison le dépassent". (André Green, La Diachronie en psychanalyse, Editions de Minuit, p.131)
S. Freud, Au-delà du principe de plaisir, Petite Bibliothèque Payot, 2010